Hyundai a amorcé sa révolution par le design depuis quelques années et son concept N Vision 74 est le kumquat sur le bungeoppang. Nous avons rencontré l’homme derrière cette révolution.
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Les Salons automobiles sont morts. Ils étaient déjà très mal en point avant la pandémie mais les confinements successifs ont servi de cas d’étude aux constructeurs. Dépenser des millions dans des stands qui se veulent toujours plus imaginatifs, inspirants, excessifs… et qui durent une semaine fait-il réellement une différence sur le nombre de voitures vendues ? Où même le nombre de visites sur leur site web ? Il semble que la réponse est « non » et que les respirateurs ont été coupés. Sauf pour Genève… qui se tient maintenant au Qatar. A priori, le seul moyen qu’ils aient trouvé pour faire pire que de ne plus organiser ce Salon a été de le déplacer dans un pays qui a autant de considération pour l’écologie que pour les droits de l’Homme. L’automobile en sortira-t-elle grandie ? Je vous laisse répondre.
On aurait pu craindre que l’idée même de concept car tombe aussi un peu en désuétude mais ce n’est pas parce qu’une étude de style n’a plus de plateau tournant pour se montrer qu’elle n’est plus capable de capter l’imagination, ni de susciter le désir. Et en 2022, aucun concept n’a réussi à faire ça mieux que le Hyundai N Vision 74.
Pendant que BMW continue de se saborder en mode “arrêtez-moi ou je dessine encore”, le département crayons de Hyundai a le stylet entre les dents. Le chef de cette équipe s’appelle SangYup Lee. Ancien designer chez Bentley et GM, il est né à Séoul et a supervisé la très carrée Ioniq 5, la très profilée Ioniq 6 ou le dernier Tucson. En gros, toutes les Hyundai marquantes depuis 2016.
Nous discutons autour d’un modèle statique du N Vision 74. Nous nous trouvons au cœur des collines verdoyantes du nord-ouest de l’Allemagne, sur le circuit du Bilster Berg. Une redoutable piste privée que certains n’hésitent pas à qualifier de petit Nürburgring construite sur le site d’un ancien dépôt de munitions britannique du temps de la guerre froide. Le N Vision 74 n’est pas comme les autres starlettes de salons. Il roule. Vite ! Et avant que je ne m’attaque à ce mini-enfer vert à bord d’un modèle unique inestimable, SangYup m’explique les origines de cette claque visuelle.
« C’est un voyage incroyable que Hyundai poursuit depuis 50 ans, me dit-il en parlant doucement avec des mots soigneusement choisis. La plupart des grands constructeurs sont là depuis environ un siècle, Hyundai n’est là que depuis la moitié de ça. Mais la société a quand même une belle histoire. »
L’histoire à laquelle fait référence le concept N Vision 74 est un autre concept qui s’appelait Pony Coupé Concept. Un petit coupé imaginé pour le Salon de Turin en 1974. À l’époque, Hyundai avait demandé à Giorgetto Giugiaro d’habiller le châssis d’une Pony berline avec une carrosserie qui mettrait enfin Hyundai sur la carte du design mondial.
« Giugiaro a convaincu la direction de Hyundai que pour se rendre à un Salon de l’automobile, qui plus est à Turin, il leur fallait un coupé élégant. À l’époque, les infrastructures routières en Corée étaient médiocres mais le fondateur de l’entreprise avait toujours voulu produire une voiture performante. Il y avait donc une belle histoire à écrire, ils ont tenté de mettre le Pony Coupé en production mais ce rêve ne s’est pas réalisé. Aujourd’hui, nous avons le design et la technologie pour faire cette voiture. »
Ce que le N Vision 74 fait si brillamment, c’est faire référence à ce qu’a failli faire Hyundai à un moment de son passé, en y associant une idée de la propulsion haute performance de demain. C’est ce que les ingénieurs appellent un laboratoire roulant. SangYup ne cesse d’utiliser le mot passion en faisant le tour de la voiture, tout en me montrant quelques détails comme la discrète inscription “We have no need to shout” (Nous n’avons pas besoin de crier) ou la signature lumineuse pixel LED. « Une signature Hyundai. Nous ne faisons pas de design façon poupées russes comme la majorité des grands constructeurs, nous voulons construire un ensemble, comme des pièces de jeu d’échecs, où chaque voiture a son rôle et son identité, mais où toutes font à l’évidence partie de la même équipe. »
J’avoue à SangYup ne pas avoir entendu parler du concept Pony avant que le N Vision 74 ne débarque, débordant de références à son père spirituel, mais aussi à tout un tas d’autres classiques de la fin du XXe siècle. Il sourit et me sort de la galerie de son portable des photos de sketches de 2016 pour me montrer depuis combien de temps cette idée était en gestation.
« Peu de gens ont entendu parler du Pony Coupé mais les créations de Giugiaro sont connues à travers le monde entier : la DeLorean, la BMW M1, la Lotus Esprit… C’est un maître du design. La génération Z ne connaît pas toute cette histoire, ils voient juste un concept cyberpunk ultime. Et j’aime ça. Quoi de plus contemporain qu’un concept cyberpunk ? »
La référence à la DeLorean est essentielle car, dans un univers alternatif, c’est probablement la première sportive de Hyundai qui serait devenue la star de l’une des plus grandes franchises du cinéma des années 1980. « Giugiaro a reconnu que le Pony a influencé la DeLorean (boarf, si peu…). Il a conservé ces références quand Hyundai a pris la décision de ne pas produire le Pony Coupé. S’il n’y avait pas eu de Pony, il n’y aurait pas eu de DeLorean. Et peut-être pas de Retour vers le futur. » Euh… on se calme, McFly !
Mais, malgré la lunette arrière à persiennes, les roues pleines ou la peinture semi-mate façon acier inoxydable, le N Vision 74 n’est pas un voyage en Nostalgie. D’ailleurs, SangYup se crispe quand j’utilise le mot rétro en évoquant sa création.
En fait, ce N Vision 74 est tellement plus que ça ! C’est un objet de fierté nationale, un concentré de Corée qui boucle la boucle, de l’aspirant constructeur automobile au leader du design mondial. « J’ai vu des larmes dans les yeux de certaines personnes en Corée quand nous avons révélé ce concept. » Les concurrents, peut-être ?!? « Reconnaissons-le, quand vous achetiez une Hyundai il y a 10-15 ans, vous n’étiez guidé que par la raison, pas par vos émotions. Nous ne voulons pas juste créer une marque de voitures, nous voulons créer des fans. »
Une question me démange… Est-ce que personne ne lui a mis la pression pour qu’il dévoile la technologie hybride hydrogène de Hyundai dans un SUV plutôt que dans un coupé ? Les sportives n’ont plus vraiment la cote de nos jours, tout le monde semble réclamer des déplaçoirs plus gros, pas des voitures plus basses.
« La raison est simple, la voiture reste un produit émotionnel, me répond-il avec confiance. C’est le deuxième achat le plus cher que nous faisons après un logement et nous voulions en augmenter la valeur émotionnelle. Les sportives ne se démoderont jamais, notamment parce qu’un coupé transmet plus d’émotion que n’importe quelle autre voiture. C’est comme ça. »
Le N Vision 74 a fait tomber des mâchoires sur les claviers partout à travers le monde quand il a été révélé sur le Net. Il n’avait clairement pas besoin d’un hall, d’un stand, ou d’un plateau tournant pour briller.