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Paul HORRELL • Niels de GEYER
Publié le : 1 mars 2025

Plusieurs ingénieurs Hyundai N me disent qu’ils n’étaient pas emballés par le projet Ioniq 5 N. Ce sont des passionnés. Ce qui en fait les plus à même de faire ça bien. Les i20 N et i30 N étaient des bijoux de petites sportives essence à boîte méca : analogiques et communicatives, tout en offrant des myriades de réglages pour personnaliser l’électronique à sa main (ESP, différentiel électronique, amortissement piloté, cartographie moteur, note d’échappement).

Les ingénieurs se sont donc attelés à donner à la Ioniq 5 des réactions de bonne grosse GTI thermique à l’ancienne mais, en cours de route, n’ont pas manqué de se convertir à tous les avantages de l’électrique pour pousser encore plus loin cette personnalisation. Cette voiture n’est pas qu’une voiture, c’est aussi un jeu. Alors jouons.

Sélectionner niveau : NIVEAU 1

Sélectionner course : VILLE

Séoul est une mégapole ultramoderne. Des barres d’immeubles à perte de vue, des artères à huit voies qui traversent le centre comme les banlieues, mais aussi de minuscules ruelles parsemées de bars et de petits restos. Le trafic est du genre caféiné, en tout cas quand il n’est pas paralysé. On se croirait presque à Milan.

Une voiture électrique, même surpuissante comme celle-ci, est donc plutôt à l’aise dans cet environnement. Ultraréactive au feu vert, douce et intuitive dans le flot de la circulation. De quoi laisser le novice au volant prendre ses marques dans cette jungle urbaine.

La nuit est déjà bien avancée quand nous arrivons près de Gangnam, tandis que le stade de base-ball local déverse des hordes de supporters heureux après la victoire des LG Twins. Aucune agressivité nulle part. Quand nous bloquons la route pour une photo avec notre voiture bleu layette, personne ne nous embête. En revanche, les taxis ne se privent pas de klaxonner s’ils veulent passer. Il n’y a pas chez les Coréens cette déférence rigide quoique charmante qu’on observe chez leurs voisins d’en face.

Coréens et Japonais ne sont pas les meilleurs amis du monde, et l’on ne croise presque aucune voiture nipponne de ce côté du détroit. D’ailleurs, hormis quelques Mercedes et BMW, des Mini, des Land Rover, tout le parc automobile est indigène. Hyundai, Kia et Genesis, les trois marques du groupe HMC, représentent pas moins de 75 % du marché, ne laissant que des miettes à Ssangyong, Renault (ci-devant Renault-Samsung) et Chevrolet-Daewoo.

Le paysage automobile sud-coréen reflète la mentalité du pays, hautement connecté à ce qui l’entoure tout en restant assez étanche aux influences américaines, européennes ou asiatiques. L’occidentalisation ne va guère plus loin que quelques MacDonalds et des sacs Louis Vuitton. J’ai toujours peur de tomber dans les poncifs du journalisme de voyage façon revue de compagnie aérienne, et de rester prisonnier de mes préjugés. Cependant, je serai saisi plusieurs fois durant mon séjour par la façon dont les Coréens sont résolument tournés vers l’avenir (l’architecture, le design, les infrastructures, la technologie) tout en faisant les choses à leur façon, en respectant leur héritage. Mais je ne suis pas venu ici pour poireauter dans les bouchons. Il est temps de rouler un peu.

Sélectionner niveau : NIVEAU 2

Sélectionner course : AUTOROUTE

La Corée est presque entièrement recouverte de montagnes. Pas bien hautes, mais des montagnes quand même, qui s’enchevêtrent à l’horizon de tous les côtés et ne facilitent pas l’urbanisme. Séoul est un vrai défi à la topographie, par exemple, et son aéroport a été bâti sur un terrain conquis sur la mer. Sur les quelque 80 km de l’autoroute 60 qui relie Séoul à la côte, plus de la moitié sont dans des tunnels, un quart sur des viaducs. Pour éviter de s’endormir dans les tunnels, il y a périodiquement des jeux de lumière au plafond, et des changements de revêtement pour faire chanter les pneus.

Cela n’empêche pas la Ioniq 5 d’être toujours aussi à l’aise ici. Elle est stable, la démultiplication de sa direction s’adapte parfaitement aux grandes courbes et, avec 609 ch, vous n’aurez jamais de mal à vous insérer. Elle est aussi très silencieuse, ce qui me permet de profiter de l’excellente hi-fi embarquée. L’affichage tête haute est superbe, incluant une navigation parfaitement claire mais aussi des alertes radar issues d’une base de données en ligne. La voiture va jusqu’à indiquer votre moyenne en temps réel entre deux radars tronçons, et la distance restant à parcourir avant la fin dudit tronçon… De toute façon, les radars sont signalisés bien en évidence. Après chaque radar à 100 km/h, le conducteur coréen moyen se recale plus ou moins à 130.

On peut passer les télépéages à environ 60 km/h. Le prix et le crédit restant sur votre compte s’affichent alors sur l’écran de la voiture. Cette dernière est incroyablement bien connectée, en tout cas quand elle roule en Corée. Hors autoroute, elle affiche même un petit avertissement avant chaque dos d’âne.

Je suis tellement en confiance que je laisse la conduite semi-autonome agir sur l’autoroute. Le commodo sur le volant est intuitif, la gestion de la vitesse et de la trajectoire extrêmement fluide, tandis que l’affichage tête haute souligne les marquages et le trafic en réalité augmentée, presque sans jamais se tromper.

Sélectionner niveau : NIVEAU 3

Sélectionner course : MONTAGNE

La province de Gangwon est un vaste bout de cambrousse coincé entre la mer du Japon (qu’ils appellent la mer de l’Est, forcément) et la frontière avec la Corée du Nord. Pour encourager le tourisme, ils ont tracé 1500 km de routes somptueuses, dont nous avons parcouru les plus beaux recoins un jour d’automne bien sec.

De loin, cette voiture ressemble à une compacte sportive. Mais quand on s’approche, on la voit pour ce qu’elle est : un crossover familial de 2,2 t en tenue de sport. Depuis le siège conducteur, ce serait plutôt une quasi-supercar à quatre roues motrices, et fichtrement compétente dans le genre. Pour s’en rendre compte, il faut presser les deux boutons N sur le volant. J’en ai configuré un pour le mode N personnalisé, l’autre activant le “N e-shift”. Mon mode sur mesure associe l’accélérateur Sport, la direction la plus lourde, la répartition du couple Sport et l’ESC en mode intermédiaire. Rien de bien original pour l’instant, on pourrait croire que je parle d’une Golf R. Le N e-shift, c’est autre chose. Ce système simule une boîte de vitesses, palettes au volant incluses. Il y a même un compte-tours. Enfoncez l’accélérateur au point mort et le “régime” augmente (pour de faux puisque les moteurs électriques ne bougent pas).

Accélérez en “première” et vous êtes violemment plaqué au siège… jusqu’au “rupteur”. Passez en “seconde” : l’accélération se calme brièvement avant de repartir de plus belle. Et ainsi de suite de “rapport” en “rapport”. On jongle avec ces derniers comme on le ferait sur une voiture thermique, la poussée n’est pas linéaire et s’accentue à l’approche de la zone rouge, avec jusqu’à 650 ch pendant 10 s via le bouton Boost. À l’inverse, on peut passer le rapport plus tôt si la route a l’air un peu glissante. Ou utiliser le frein moteur. La 5 N possède un inverseur supplémentaire pour décélérer jusqu’à 0,6 g sur la seule régénération, sans actionner les étriers. Franchement, en descente, le mimétisme est bluffant. L’ensemble est extraordinairement réaliste et engageant, même si l’on irait plus vite sans tous ces artifices, en laissant la voiture exploiter le maximum de couple en permanence.

Et ce n’est que le début. En utilisant toutes les enceintes, le N Active Sound – oui, tout est N sur la Ioniq 5 N, c’est comme la Batmobile, le Batcopter et la Batcave pour Batman – simule quant à lui un bruit de moteur. Celui d’un 2 l turbo ou… d’un avion de chasse, si vous y tenez. Les générateurs de son habituels sont d’insupportables gadgets qu’on coupe au bout de 2 km. Pas celui-ci, qui est parfaitement raccord avec l’angle de l’accélérateur et le “régime” moteur. La bande-son est riche, d’abord sourde en bas puis de plus en plus violente à mesure que l’on appuie, ponctuée de bruits d’admission devant et d’échappement derrière.

Non seulement c’est ludique, mais cela enrichit l’expérience, voire aide à mieux conduire grâce à une meilleure perception de la voiture. Cela sans les inconvénients d’un turbo lag, ni les nuisances sonores à l’extérieur (même si la voiture diffuse un peu de son à l’avant et à l’arrière pour parfaire l’effet 3D de l’intérieur).

Attaquez sur une route de col et la Ioniq semble se délester de 400 kg. Dans les épingles, elle renifle la corde avec la dextérité d’une voiture de sport, exploitant à merveille son différentiel électronique, sa vectorisation de couple et la régénération. La motricité est sans failles, ce qui n’empêche pas un subtil déhanché pour accompagner les sorties d’épingle. Dans les courbes rapides, elle est solidement verrouillée.

Il faut dire que la 5 N a eu droit à la totale par rapport à la 5 tout court : voies élargies, structure et berceaux renforcés, nouveaux bras de suspension et colonne de direction, gros freins. Ça se sent. On n’a pas l’impression de conduire sur une route qui défile en réalité virtuelle sur le pare-brise. On sent les pneus et l’amortissement travailler, les mouvements de caisse être savamment maîtrisés. Tous les systèmes sont sur le qui-vive, mais tout est parfaitement sous contrôle. Un petit café en haut du col en admirant la vue, et on s’y remet.

Sélectionner niveau : NIVEAU 4

Sélectionner course : BORD DE MER

Hors saison, tous les grands hôtels, les restaurants et les parcs d’attractions du littoral de Gangneung sont déserts. Nous cruisons sous un soleil d’automne. La 5 N n’a pas le moelleux de la Ioniq 5 standard, mais son mode Comfort ne ment pas sur la marchandise. L’ambiance est forcément moins zen à bord avec cette sellerie noire à surpiqûres bleues. Les baquets sont formidables. Hyundai faisant partie des constructeurs qui ont le bon sens de résister à l’invasion des écrans, il reste des boutons pour la clim et de nombreuses autres fonctions. Les places arrière sont toujours aussi accueillantes : sièges coulissants et inclinables, espace aux jambes royal, de la lumière, des rangements, des aérateurs et des ports USB à volonté. Ça ferait un excellent bureau mobile. Enfin, à condition que le conducteur soit sur la même longueur d’onde…

« Les générateurs de son habituels sont d’insupportables gadgets qu’on coupe au bout de 2 km. Celui-là est absolument génial »

 

Retour à l’intérieur des terres, où nous attend le circuit de feu le Grand Prix de Corée du Sud, à 560 km au sud-ouest. Dans la vraie vie, on peut tabler sur une autonomie de 300-350 km. C’est d’autant moins un problème que la Ioniq recharge à plus de 220 kW. À peine le temps d’un arrêt-pipi et d’avaler quelques petits pains au sésame qu’elle est déjà prête à repartir.

Sélectionner niveau : NIVEAU 5

Sélectionner course : CIRCUIT

Une Hyundai N doit être à l’aise sur circuit, disent-ils. Comme les ingénieurs et les responsables marketing sont essentiellement allemands et coréens, ils veulent parler du Nürburgring, que leurs voitures ont limé dans tous les sens. La plate-forme e-GMP et son architecture 800V jouent un rôle crucial pour cela, disent-ils aussi. Car qui dit haute tension dit moins de température. On peut ainsi envisager une session de 20 minutes sans surchauffe, puis une recharge en 20 minutes avant de ressortir des stands. C’est pour ça que Hyundai s’est mis à installer des bornes rapides sur des circuits un peu partout dans le monde. À Tesla les aires d’autoroute, à Hyundai les paddocks.

Sans surprise, il y a un paquet de réglages dédiés au pilotage sur circuit. Pour les drag races, on peut cocher le préconditionnement de la batterie, le boost à 650 ch et le launch control. Un mode Sprint privilégie la puissance brute, tandis qu’un mode Endurance la tempère pour des sessions plus longues. Pour drifter sur le mouillé, un mode spécial fait chasser l’arrière avant d’utiliser le moteur avant et l’ESP pour maintenir l’angle. Là aussi, c’est ce qu’ils disent. En pratique, sur un parking humide, la puissance et l’inertie sont telles qu’une fois la dérive amorcée, la contrôler s’est avéré au-delà de mes compétences. Et Hyundai convient que pour tenter ça sur le sec, mieux vaut prévoir un train de pneus de rechange…

Le mode N Pedal est bien plus utilisable, qui associe la régénération maximale à la vectorisation de couple pour encore plus d’agilité, et ce sans jamais toucher à la pédale de frein. Il faudra tout de même recourir au freinage hydraulique si vous voulez tenter un record du tour (7’50 sur le Ring, si ça vous tente), mais c’est incompatible avec la fonction N-Shift. À vous de choisir… On n’aurait rien contre un peu plus de résistance sous la pédale de frein, et l’on sent les pneus souffrir. Avec un tel poids et une telle puissance, il y a de quoi compatir. Mais globalement, lâchée sur un circuit où un gros crossover électrique n’aurait a priori rien à faire, la Ioniq 5 N dépasse une fois de plus toutes les espérances. Avec les amortisseurs dans le mode le plus ferme, elle s’inscrit résolument dans le serré, sans sous-virage ni mouvement de caisse parasite. La limite est facile à trouver et l’on peut toujours flirter avec elle à l’accélérateur pour explorer d’autres options de trajectoire. Ce n’est peut-être pas aussi rapide qu’une supercar sur un tour, mais c’est du plaisir en barres.

Et surtout, cette fois, pas besoin de rajouter “pour une voiture électrique” à la fin de chaque phrase. On s’amuse, point barre. La Ioniq 5 ouvre une nouvelle page pour les voitures électriques. Donc pour les voitures tout court.