Tout a commencé en 1998 quand Ferdinand Piëch, ingénieur de génie et patron de Volkswagen AG depuis 1993, a eu une envie de shopping. Obsédé par la montée en gamme du groupe, il a déjà supervisé l’année précédente la prise de contrôle de Lamborghini par Audi, et s’est disputé Rolls-Royce avec BMW sans arriver à ses fins : Volkswagen a dû se contenter de repartir avec Bentley dans son escarcelle – Piëch prétendra que c’était son objectif – tandis que BMW mettait la main sur Rolls (mais ceci est une autre histoire).
Piëch est aussi à l’origine du rachat de feu la marque Bugatti. Selon la légende, il passait ses vacances de Pâques à Majorque quand son plus jeune fils, Gregor, lorgna une petite voiture dans un magasin de souvenirs : une Bugatti Type 57 SC Atlantic. Encore tout fumasse d’avoir dû abandonner les droits de Rolls-Royce à BMW, Piëch acheta deux exemplaires de la miniature : l’un pour Gregor, l’autre pour le conseil d’administration de Volkswagen, à qui il demanda d’étudier une éventuelle acquisition de Bugatti.
La production de l’EB110 avait cessé en 1995 et le stock restant avait été vendu. Tout ce que Volkswagen acheta donc, pour un montant estimé à 50 millions de dollars, c’est le nom Bugatti. Mais c’est tout ce qui intéressait Piëch, à la recherche d’un écrin pour le 18 cylindres qu’il avait griffonné l’année précédente au dos d’une enveloppe pendant un voyage en Shinkansen. Bugatti était assurément le blason idéal pour créer une vitrine technologique du groupe Volkswagen.
Commença alors un défilé rapide de concept cars autour d’un même bloc W18 6.25 de 555 ch. D’abord l’EB 118, une grosse GT à moteur avant et transmission intégrale signée Giugiaro. Puis l’EB 218, sa déclinaison berline, héritière directe de l’E B112 morte-née à la fin de l’ère Romano Artioli.
La première ébauche de la future Veyron apparut au salon de Francfort 1999 avec le concept EB 18/3 Chiron, mais c’est à Tokyo la même année que Bugatti passa aux choses sérieuses avec l’EB 18/4 Veyron. Hormis le moteur, alors encore le W18 que Piëch désespérait d’industrialiser, il s’agit presque trait pour trait de la Veyron de série.
Piëch valida en effet le style de son futur fleuron sans attendre – ce qui ne facilita pas la tâche des ingénieurs par la suite – et, au salon de Genève 2000, officialisa l’heureux événement : Bugatti allait mettre en production une voiture de 1 001 ch capable de franchir la barre des 400 km/h et de passer de 0 à 100 km/h en moins de 3 s. Le tout en étant aussi facile à conduire qu’une Golf. Rappelons qu’à ce moment précis, aucun prototype de la Veyron n’avait encore roulé.
Le défi était donc immense. Voire insurmontable, à première vue. Mais quand Ferdinand Piëch exigeait quelque chose, il n’y avait pas le choix. Le développement de la Veyron réclama des années de travail acharné et des investissements faramineux. À tel point que malgré deux cylindres de moins que prévu, le moteur fut d’après les témoignages l’une des parties les moins complexes du projet. L’équipe s’est arraché les cheveux sur à peu près tout le reste, de la boîte à double embrayage à l’aérodynamique en passant par les pneus.
Mais ils sont finalement arrivés à répondre à l’impitoyable cahier des charges de Ferdinand Piëch. Y compris la vitesse de pointe de 407 km/h, 1 km/h de plus que la Porsche 917 (qu’il avait conçue 35 ans plus tôt) aux essais des 24 Heures du Mans 1970.
Pari gagné : la Veyron restera comme une éclatante démonstration de savoir-faire, et l’une des légendes automobiles de son temps.