C’est quoi ce bronx chez Jaguar ? On vous explique TOUT !

Le prochain concept Jaguar n'est pas encore arrivé que la toile a déjà pris feu. Mais pourquoi ?

La rédaction
Publié le : 29 novembre 2024

Jaguar, respectable constructeur automobile britannique depuis 102 ans, s’apprête à dévoiler un nouveau concept-car. Jusqu’ici, rien d’inhabituel.
Mais en attendant de voir ce qui va se passer après (la présentation du concept, suivez un peu…), c’est ce qui s’est passé avant qui a enflammé la toile. Et bien au-delà du monde automobile.

Voici notre guide complet du Jaguar-gate.

Que s’est-il passé ?

Le mardi 19 novembre 2024, Jaguar a révélé sa nouvelle « identité de marque ». Pour faire court, il s’agit d’un nouveau badge « monogramme » (un cercle contenant un « J » et un « r »), d’une sorte de chat sauteur enfermé dans un code-barres et d’un « mot-logo » qui épelle « Jaguar » en lettres majuscules et minuscules mélangées.

Pour ce faire, après avoir supprimé de ses réseaux sociaux toutes ses archives (!), Jaguar a diffusé une vidéo de 30 secondes dans laquelle ne figurait aucune voiture. Ce qu’on a vu, c’était une bande de mannequins haute couture blasés sortants d’un ascenseur pour aller se balader sur une planète rose avec un pinceau et un maillet. Un spot qui vaudrait une crise d’épilepsie à n’importe quel daltonien, et qui se termine sur le nouveau mantra de Jaguar : « ne rien copier ».

Et les réactions ont été… comment dire… ? Le problème est que « mitigée » impliquerait une certaine proportion de retours positifs. Alors qu’en réalité, il faut faire défiler les commentaires jusqu’à avoir des crampes au pouce avant de trouver des internautes satisfaits du nouveau logo, de la nouvelle identatité de marque ou de cette vidéo sur la Planète Androgynes.

Interrogé, le gourou du marketing Rory Sutherland a déclaré « Jaguar ne peut pas survivre avec des gens qui aiment la marque mais n’achètent pas les voitures ». Le media Marketing Week a commenté « Putain de folie ». L’affaire a même pris un tour politique en Angleterre où le député du Parti réformiste Nigel Farage a prédit la faillite de Jaguar. Quant au nouveau ministre de l’efficacité gouvernemental américain – et accessoirement patron de Tesla – Elon Musk, il s’est contenté d’un « Vendez-vous des voitures ? » sur X.

On ne compte plus les vidéos de réactions, les parodies, les mèmes, les reprises (Burger King… !), oubliez « Lewis confirmé chez Ferrari » ou le poids à vide de la nouvelle BMW M5. Bienvenue dans le plus grand sujet de discussion du monde automobile cette année.

Pourquoi maintenant ?

Si elle a semblé prendre tout le monde de court, ça n’est que le début de ce que Jaguar annonce depuis plus d’un an : une remise à plat sans précédent de l’ensemble de son fonctionnement. En novembre 2024, et pour la première fois depuis 1948, aucune Jaguar n’est entrée en production. L’entreprise a décidé de créer ce qu’elle appelle un « coupe-feu » pour séparer son ancienne image semi-premium grand public et son nouvel objectif : se transformer en un rival de Porsche et Bentley en vendant des véhicules électriques ultra-luxueux à 150 000 € à une clientèle plus jeune et plus diversifiée, « riche en cash, mais pauvre en temps ».

Dans quelques jours, Jaguar dévoilera le concept-car qui donnera le cap de ce nouvel avenir, bien loin des XE et des E-Pace. Nous nous attendons à quelque chose d’étonnant, d’anguleux, de massif et de disruptif. Et à en juger par ce prototype camouflé déjà testé au siège de Jaguar… ce n’est pas seulement juste un coup de com’, Jag va faire quelque chose de dingue.

Il fallait donc faire monter la sauce avant ce qui sera sans doute le plus grand moment de l’histoire de Jaguar au cours de ce siècle. Et de ce point de vue, cette campagne déroutante, controversée et qui dérange les puristes… et les autres a presque eu trop de succès – à moins que vous ne croyiez vraiment que toute publicité est une bonne publicité. En fait, personne n’a parlé de Jaguar le mois dernier, ni même l’année dernière. Tout le monde le fait maintenant. Mais la majorité crie.

Pourquoi les gens sont-ils si en colère ?

Au moment de la rédaction de cet article, la vidéo YouTube a été vue plus de 2,3 millions de fois. La vidéo Instagram a été vue plus de 7 millions de fois et le sentiment global des commentaires sur tous les réseaux sociaux est extrêmement négatif.

Le mot « woke » est certainement celui qu’on a le plus lu, et pas pour en faire un compliment. Les gens semblaient déconcertés par l’absence de voiture et irrités par le fait que Jaguar « répare » un badge que personne ne pensait cassé. Sans oublier le fait que le constructeur a supprimé toutes les publications précédentes de tous ses réseaux sociaux. Jaguar voudrait-il effacé son histoire ?

Nombre de commentaires suivent le même angle de vue :  Jaguar incarne l’industrie automobile dans ce qu’elle a de plus traditionnel. Des voitures classiques, jolies, au style parfois désuet (c’est plus joli que ringuard), agréables à conduire et, bien sûr, souvent peu fiables et en retard technologiquement. Mais tout cela fait partie de leur caractère.

Jaguar s’est fait un nom dans les années 50 et 60, en remportant les 24 Heures du Mans et en produisant des voitures capables de surpasser Ferrari et Aston Martin pour un quart du prix. La Type E était belle, mais elle restait abordable. Tout comme la XK120.Même avec des voitures radicales comme le coupé XJS ont toujours été ornées de cuir, de bois et d’un charme décontracté et raffiné. Et cela a continué avec la XJ des années 2000, tout en aluminium et tweed, ou l’I-Pace qui a ouvert le marché des SUV électriques haut de gamme devant Audi, BMW et Mercedes.

Jaguar I-Pace

Les gens qui aiment les Jaguar aiment les Jaguar comme elles l’ont toujours été, avec cette forte personnalité britannique et un sens de l’humour débonnaire. Pourtant la nouvelle vision de Jaguar semble honteuse de ce qui a fait l’une des meilleures campagnes de Jaaaag, la fameuse « It’s good to be bad » avec plus de star qu’une pub Nespresso…

Loin de s’excuser, les dirigeants de Jaguar ont doublé la mise. Le compte Instagram officiel a répondu aux internautes avec insolence, et le patron de Jaguar, Rawdon Glover, a déclaré au Financial Times : « Si nous jouons comme tout le monde, nous serons tout simplement noyés. Nous ne devrions donc pas nous présenter comme une marque automobile. » Il a également dénoncé la réaction « anti-woke » comme étant « une haine et une intolérance lamentables ».

Est-ce que Jaguat avait besoin de ça ?

Ça c’est la question à 150k (hors options). Après tout, les nouveaux venus chinois tueraient pour l’héritage que Jaguar semble vouloir effacer. Le fait est que la tempête de vitriol qui se déchaine depuis plus d’une semaine a oublié un léger détail : Jaguar ne vend pas assez de voitures. Pas seulement en ce moment : elle n’est pas rentable de manière depuis des années. Des décennies. Les PDG vont et viennent. Les maisons mères changent. Jaguar change de cap mais… elle ne gagne jamais d’argent. Au cours du dernier exercice financier JLR a vendu 58 000 Range Rover, 28 700 Defender et seulement 13 528 Jaguar au total. Et ce n’est pas non plus récent.

Au cours de la dernière décennie, Jaguar se présentait comme un rival d’Audi, BMW et Mercedes. Mais même au cours de sa plus grosse année en 2019, les ventes ont plafonné à un peu plus de 610 000 unités, soit moins des deux tiers de l’objectif déclaré d’un million. Au mieux, pour chaque client de Jaguar XE, il y avait six acheteurs de BMW Série 3.

Où est-ce que ça a mer… ?

Avant la récente ère du « défions BMW et Audi » sur le marché de masse (qui a donné naissance à deux berlines, un break, deux SUV, une sportive, une limousine et un véhicule électrique), il y a eu l’ère rétro : lorsque les S-Type et X-Type rappelaient le style plantureux de l’âge d’or de Jaguar. Même quand leurs principales adversaires étaient les controversées BMW de Bangle, à l’époque où Lexus était exclusivement réservée au grand-père du prof de golf de votre tonton… ça a été un échec.

Au cours des années 70, 80 et 90, Jaguar a connu de brefs sommets. Deux victoires aux 24 Heures du Mans en 1988 et 1990. Une XK adulée au milieu des années 90. Mais la marque était moquée pour son manque de fiabilité et son service après-vente lamentable. Le temps fait du bien à Jaguar. Prenez la XJ220 : aujourd’hui vénérée comme l’une des plus grandes supercars des années 90. Lors de son lancement, elle a été critiquée pour sa taille, son poids et l’abandon du V12 atmosphérique du concept-car pour le V6 biturbo d’une Metro de rallye.

Ils n’avaient pas déjà tenté l’aventure électrique ?

On pourrait penser que Jaguar avait déjà un porte-étendard électrique avec l’I-Pace, mais c’était aussi un gouffre financier. Jaguar a dû payer l’autrichien Magna Steyr pour qu’il le produise pour eux. Mauvais calcul, les marges sont faibles sur les véhicules électriques et Jag n’avait pas la puissance financière pour proposer des offres commerciales alléchantes. L’hypercar hybride C-X75 a été annulée, au moins elle n’a pas eu le temps d’enregistrer de pertes. Et le soutien à la Formule E avec les I-Pace n’a duré que deux saisons… difficiles.

Jaguar XE SV Project 8

Heureusement, dans le même temps, au pays des V8, Jag a créé une série de courses pour caser ses super berlines Project 8… mais elle n’a jamais eu lieu. Quant à la F-Type, considérée par les critiques comme la Jag’ness par excellence (et comme l’une des plus belles voitures modernes par votre serviteur), elle s’est vendue quatre fois moins que la Porsche 911 au cours de ses 11 ans d’existence.

Et tout ça nous mène où ?

La (douloureuse) vérité est qu’en raison d’un cruel manque de budget en recherche et développement, cela fait très longtemps que Jaguar n’a pas sorti de voiture de premier plan dans sa catégorie. En général, les voitures sont belles et agréables à conduire, mais dans l’ensemble, elles n’ont pas été en mesure de rivaliser sérieusement avec l’hégémonie allemande, ou même japonaise, elles même désormais contestées par la Corée et la Chine. Après avoir déjà essayé d’être rétro, d’être un concurrent allemand sur le marché de masse, puis d’être une alternative à faible volume, Jaguar semble convaincu qu’une renaissance en « boutique exclusivement électrique » est sa dernière chance.

Cependant, Jaguar a irrité pas mal de monde et les gens qui se ont été déçus, voire trahis, par cette nouvelle identité sont forcément des gens pour qui la marque compte, ou qui ont une affection pour elle. Des personnes qui se sentent abandonnées, comme si Jaguar ne voulait plus de leur amour pour l’automobile à l’ancienne, les V8, le tweed, le flegme britannique…

Mais si ces traditionalistes de Jaguar en achetaient vraiment, Jaguar envisagerait-il une remise à zéro aussi risquée ?
Et puis… y’a-t-il plus britannique que ça ? Plus briton que ce que fait Jaguar là, en ce moment ? Je rentre de Londres, citez-moi une autre capitale dans le monde où un dandy looké avec un trois pièces en tweed, des derbies et un chapeau melon peut croiser un gars aux cheveux bleus en robe à imprimé écossais sans qu’aucun des deux ne prête la moindre attention au style de l’autre.

Quand saurons-nous si tout ça a fonctionné ?

Il pourrait s’agir du plus gros coup marketing du siècle. Ou d’un gouffre profond dont il faudra sortir. Le premier jour du reste de la vie de Jaguar sera le 3 décembre, lorsque le concept sera révélé. À dans quelques jours…

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