Cyan P1800

Au volant de la Volvo restomod de vos rêves, avec un moteur de supertourisme de 420 ch

Jack RIX • Niels de GEYER
Publié le : 7 décembre 2020

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Toute la saveur d'une ancienne, avec les performances et la facilité d'une supercar moderne : la Cyan P1800, c'est un plaisir exquis, une voiture aussi séduisante dans sa philosophie que parfaite dans son exécution. Et puis ça change des 911 Singer...

Si vous faites partie de la dizaine de petits veinards qui prendront bientôt livraison d’une Volvo P1800 Cyan à 400 000 € et des brouettes, permettez-moi de vous suggérer de garder un peu de monnaie pour une P1800 d’origine si celle-ci ne fait pas encore partie de votre garage. Ce sera le meilleur moyen d’apprécier le travail de Cyan Racing sur ce restomod au plus-que-parfait.

Car si la P1800 originelle déborde de charme, que dire de sa réinterprétation par Cyan… Le coupé frêle et ingénu a pris des muscles un peu partout, revu ses proportions en conséquence – les roues ont été décalées vers l’avant pour une allure plus râblée –, avec un sens du détail qui rend inévitable la comparaison avec une certaine entreprise californienne. Ce que Singer fait aux vieilles 911, Cyan l’a fait à une vieille Volvo.

Désossez-en une et les seules pièces communes que vous trouverez avec la voiture donneuse (qui date ici de 1964) seront 50 kg d’acier autour de l’habitacle, la poignée de déverrouillage du capot, le frein à main et les essuie-glace. Oubliez toute notion de fidélité à l’original : cette voiture est une P1800, oui, mais réimaginée de fond en comble et farcie de technologie actuelle, issue de la compétition.

Cyan Racing, pour ceux qui n’auraient pas suivi, est l’écurie que l’on connaissait autrefois sous le nom de Polestar, avant que Volvo ne s’accapare ce dernier pour en faire une marque à part entière dans le giron de Geely. Appelez-les comme vous voulez mais ce sont eux qui dominent actuellement le supertourisme mondial (en WTCR). Autant dire que lorsqu’il s’agit de transformer une Volvo de série en bête de course, ils connaissent un truc ou deux. Selon Hans Bååth, directeur général de Cyan Racing, ce projet a été lancé pour célébrer le titre WTCC en 2017, l’année où Volvo a fêté ses 90 ans, comme « un hommage à l’histoire de Volvo en sports mécaniques. »

Cela inclut le moteur : ce 4 cylindres 2,0 l turbo est celui-là même qui animait la S60 TC1 sacrée en 2017, remanié pour atteindre 420 ch et 455 Nm, avec une zone rouge à 7 700 tr/min.

La voiture reste évidemment une propulsion. Elle reçoit une boîte manuelle 5 rapports Holinger, un différentiel à glissement limité, une suspension entièrement nouvelle (avec doubles triangles et amortisseurs réglables), tandis qu’à peu près tout ce qui peut être en fibre de carbone est en fibre de carbone. Ce qui signifie que cette P1800 ne pèse que 990 kg, soit le poids d’une Twingo. Ah oui, et il n’y a aucune assistance électronique : ni contrôle de traction, ni ABS. Autrement dit, vous êtes tout seul avec votre pied droit.

L’expérience commence bien avant d’actionner la toute petite clef de contact. On approche la voiture en se déboîtant les cervicales pour mieux la saisir sous tous les angles, on s’accroupit pour admirer la sortie d’échappement centrale, on caresse du bout de l’index la ligne de caisse qui rebique sous la poignée, on palpe délicatement les élargisseurs d’aile boulonnés. Et puis, il y a la couleur. Ce n’est pas seulement le bleu Polestar (que Volvo a élégamment accepté de ne pas utiliser au cours de la prochaine décennie pour éviter toute confusion) mais un clin d’œil aux couleurs de la Suède en course automobile. La bande jaune pâle qui court le long du capot et du toit fait aussi écho à l’emblématique livrée de la 850 T-5 R il y a trente ans.

Après avoir ouvert la portière, vous enjambez l’arceau-cage pour atterrir dans un univers fait de cuir noir, de gros tissu gris très scandinave, de cadrans chromés et de poussoirs légendés en suédois. S’il se met à pleuvoir, vous avez une chance sur six de trouver les essuie-glace du premier coup.

Mettez le contact et le 2.0 se cale sur un ralenti grondant mais stable. Donnez un peu de gaz et l’échappement laisse échapper une détonation. Désolé, mais c’est une voiture qui sonne mieux dehors que dedans. Les passants en auront pour votre argent… Débrayez, empoignez le mince (mais rigide) levier de vitesses, faites attention au point de patinage un peu haut perché, et c’est parti. Finalement, elle ne demande pas plus d’efforts qu’un XC40 Diesel… sauf si vous la titillez.

Ah oui, quand même. Le turbo est incontestablement présent mais le boost ne déferle pas d’un coup, il est distillé progressivement, ce qui incite à aller chercher le rupteur. Si vous tenez les rapports, vous filez déjà un sacré bon train au moment où vous tirez vers vous le levier sur cette grille « dog leg » pour passer la troisième.

Je sais bien que l’asphalte est humide, qu’il y a zéro électronique pour pallier mon absence de talent, des villas qui coûtent moins cher que cette voiture, et aucun autre exemplaire à l’heure actuelle sur la planète. Mais allez-y franchement et elle vous le rend bien. La direction (assistée) très directe met très vite en confiance, les freins aussi une fois qu’on a intériorisé qu’il fallait les écraser. Une petite virgule par-ci, une grosse dérive par-là ? C’est comme ça qu’elle aime être menée. Cyan appelle ça « une authentique expérience de propulsion« , nous une retraitée avec une hanche bionique et une prescription open bar sur l’adrénaline.

Cyan aurait pu se contenter de faire une voiture de course déguisée en ancienne. Après tout, la chasse au chrono, c’est leur spécialité. Mais Bååth souligne qu’il a bataillé pour que le fun fasse partie du cahier des charges. Le résultat est un remarquable compromis route/circuit : la voiture est suffisamment souple et docile pour être confortable sur les grands axes, assez performante et interactive pour satisfaire les pilotes les plus aguerris sur circuit. Oubliez les temps au tour et savourez son inertie naturelle dans vos lombaires, et ces sensations à l’ancienne conjuguées à une précision et une tolérance très actuelles.

En voyant les premières photos de l’auto, nous étions persuadés qu’elle serait électrique. Quand nous avons découvert que ce ne serait pas le cas, toute la rédaction de Top Gear s’est réjouie. Pas parce que nous n’aimons pas les voitures électriques, mais parce qu’un tel hommage au passé mérite de représenter ce dernier dans toute sa gloire, avec le bruit et l’odeur.  Accessoirement, « elle aurait fait 1 500 kg, note Bååth. C’est un condensé de l’histoire automobile jusqu’à nos jours. L’électrique, ça vient après. »

Pour moi, l’essence de la gastronomie, c’est de partir des ingrédients les plus simples et de les sublimer. Une fois, en Afrique du Sud, j’ai dégusté de la laitue grillée accompagnée d’un sauce mystérieuse, et laissez-moi vous dire que cette expérience a été transcendantale.

Ici, on a de la fibre de carbone, un coupé biplace avec un 4 cylindres turbo dans une baie moteur toute vide. Pris individuellement, les éléments n’ont rien de spécial, mais le goût de l’ensemble, si. Si vous y ajoutez l’histoire qu’il y a derrière, l’audace de l’idée, les milliers d’heures de travail manuel, le soin obsessionnel apporté aux détails et à la finition, la profondeur d’un caractère qui continue de se révéler tour après tour, et tout cet amour qui en exhale, vous obtenez une auto très, très spéciale. J’adore conduire les supercars actuelles, mais si c’était mon argent… Mettez-m’en plutôt douze comme celle-ci.

 

Photos : Mark Riccioni

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