Ferrari 12Cilindri

La nouvelle super-GT de Ferrari ne fait pas de mystères à propos de ce qu'il y a sous son capot. Mais peut-elle traverser cinq pays en quelques heures ? C'est ce que nous allons voir...

Jason BARLOW
Publié le : 2 octobre 2024

9 10

La 12Cilindri est une synthèse de tout ce que Ferrari sait faire de mieux en 2024. Avec quelques twists impromptus…

Les plus Le V12. Les performances. Le style. L'exécution.
Les moins Le prix exorbitant

Il est 5 h 45 du matin et cinq Ferrari toutes neuves ronronnent devant moi, les phares scintillants sous la pluie. Un total de 60 cylindres et 32 480 cm3. On s’attendrait à ne pas s’entendre parler autour d’elles, mais elles se sont calées sur un ralenti étonnamment discret. Qu’est-ce donc cette diablerie ?

Le pilote d’essai en chef, le toujours aimable quoique extraordinairement rapide Raffaele de Simone, nous a briefés hier soir. L’idée d’être parachuté au volant de 400 000 € de supercar italienne avant le premier café de la journée est déjà un peu moins intimidante. Les habitués des Ferrari savent combien l’approche ergonomique de la marque est… originale. Il y a des cockpits d’avions de chasse plus intuitifs. « Je sais que vous adorez les commandes tactiles dans nos voitures, s’amuse Raffa. Nous avons fait quelques changements. »

Et pas des moindres. L’écran 15,6 pouces de l’instrumentation est personnalisable via un touchpad sur la branche du volant, dont les réactions sont beaucoup moins erratiques que par le passé. Il est maintenant possible d’afficher le compte-tours en grand – ça s’impose quand on a juste devant les genoux un vilebrequin désormais capable de virevolter à 9 500 tr/min – sans pour autant changer de station de radio ni actionner le siège éjectable. Les graphismes sont aussi beaux que lisibles. Un nouvel écran central, plus petit, accueille les commandes de clim et le système infodivertissement compatible Android Auto et Apple CarPlay. Il n’y a pas de navigation embarquée, Ferrari estimant que c’est comme ça que les gens utilisent leur voiture de nos jours (le fait qu’Eddy Cue, ponte d’Apple, siège au board de Ferrari est certainement une pure coïncidence).

La nouvelle 12Cilindri est une voiture imposante (4,70 m long, 1,99 m de large), dernière incarnation de la plus pure lignée Ferrari, celle des GT à moteur avant. Une formule qui remonte aux toutes premières Ferrari, celles qu’Enzo vendait à contrecœur aux grands de ce monde pour financer son écurie de course. C’était bien avant qu’il accepte de se rendre à l’évidence et de placer le cheval derrière la charrue, ou qu’il arrête de snober tout ce qui avait moins de 12 cylindres. « Le 12 cylindres sera toujours la Ferrari originelle, disait-il. Tout le reste, ce ne sont que des produits dérivés. »

C’est sans doute aussi Ferrari qui a cristallisé le concept de gran turismo, équivalent automobile du Grand Tour (non, pas celui-là…), ce long voyage initiatique que les jeunes aristocrates entreprenaient jadis à travers l’Europe pour parachever leur éducation. Plutôt qu’à Maranello, c’est au Luxembourg qu’a lieu le lancement de la 12Cilindri. D’abord pour la proximité avec le centre d’essai et le simulateur dernier cri de Goodyear, qui a développé les gommes sur mesure de la nouvelle venue (même si, en attendant leur homologation, nos voitures sont chaussées de Michelin Pilot Sport). C’est aussi parce que le Luxembourg est blotti entre la France, l’Allemagne et la Belgique, et qu’en ajoutant les Pays-Bas on pourra sans problème envisager de sillonner cinq pays dans la même journée. La marque promet une polyvalence inédite et un confort particulièrement soigné, en plus bien sûr de performances toujours plus impressionnantes. Elle se veut la Ferrari du connaisseur, la pure de dure. En chair et en os, elle déborde de confiance.

On peut déjà bien cerner une voiture après les 50 premiers mètres. Beaucoup ont reproché à la 12Cilindri de reprendre là où la 812 Competitzione s’était arrêtée. Certes, elle affiche la même puissance, et les bielles en titane comme les cames à revêtement DLC (carbone adamantin) étaient déjà là. Mais il serait déplacé de faire la fine bouche, d’autant que le caractère de la 12Cilindri se révèle sensiblement différent de celui de sa devancière. Elle est tellement… civilisée.

Tandis que je m’installe au volant, l’homme en rouge me conseille de commencer en douceur, le temps que tout monte en température. Il n’avait pas vraiment à s’inquiéter : une tempête homérique a balayé la région la veille, transformant les routes en patinoire. Mais la 12Cilindri dorlote son conducteur comme aucune autre Ferrari avant elle, lui susurre « t’inquiète, je gère » comme aucune autre voiture n’oserait le faire avec un colossal V12 à l’avant et des pneus de 315/35 à l’arrière. Durant les 20 premières minutes, je conduis volontairement sur des œufs. Les réponses de la 12Cilindri sont aussi douces et feutrées qu’on pourrait l’attendre d’une Classe S. Et encore, la Ferrari est peut-être même plus confortable.

Par où commence-t-on ? Le circuit de Spa-Francorchamps se trouve à 45 minutes à peine. Alberto Ascari y a remporté la première victoire de la Scuderia là-bas en 1952. Depuis, Lauda, Schumacher, Räikkönen ou Vettel y ont tous triomphé au volant d’une voiture rouge. Nous mettons cap au nord sur les routes somptueusement lisses qui entourent notre camp de base. Le Luxembourg est réputé pour sa fiscalité compréhensive et sa population prospère, mais ses paysages valent le détour. Mon téléphone vibre pour m’indiquer qu’il a changé de réseau. C’est le seul indice de notre passage en Belgique.

La forêt des Ardennes, elle, est fameuse pour son microclimat capricieux. C’est bien connu : il n’y a pas de mauvais temps, seulement de mauvais vêtements. Cela s’applique-t-il aussi aux voitures ? On dirait bien. Comme le Purosangue et même sans transmission intégrale, la 12Cilindri se joue des éléments. Réglez le manettino en position Wet et elle trouve toujours du grip, assez pour rester impassible malgré les torrents qui se déversent sur l’asphalte. Hardware et software travaillent en parfaite harmonie pour nous permettre de voguer tranquillement le long de la route. La direction est moins frénétique que sur d’autres Ferrari, les freins by wire sont délicieusement calibrés. Le Side Slip Control en est maintenant à sa version 8.0 et fait encore une fois des miracles, associé à des myriades de capteurs et à des roues arrière directrices (Virtual Short Wheelbase 3.0). Tout cela maintient la voiture sur un îlot de sérénité sans qu’on ait besoin d’y penser. Rien à voir avec une F12tdf ou une 812 Competizione, qui pouvaient devenir piégeuses si l’on se laissait griser. La 12Cilindri est toujours là pour vous, plus linéaire, plus docile. Vous la sentez pivoter autour de vous. Elle est moins bestiale.

Un peu de technique : la structure est 15 % plus rigide que celle de la 812 Superfast, et elle est faite d’aluminium moulé et extrudé, en partie recyclé. Le toit est en fibre de carbone et malgré des surfaces globalement épurées, la carrosserie dissimule de nombreux artifices aérodynamiques. Le soubassement est profilé pour évacuer l’air chaud loin des radiateurs centraux, et il y a des générateurs de vortex à l’avant comme à l’arrière pour optimiser l’appui. Parfaitement intégrés au repos, les ailerons actifs à la poupe jaillissent à partir de 60 km/h, adaptant leur angle en fonction des accélérations latérales et longitudinales. Ils sont forcément noirs.

Les circuits de course quand il n’y a pas de course, c’est toujours un peu bizarre. Nous persuadons le garde-barrière de nous laisser rentrer, et nous nous dirigeons vers le Raidillon par l’intérieur. Entre nous et ce dernier, des centaines de 911 GT3. Non seulement la vue est incroyable, mais elle met parfaitement en valeur la puissance rétro-futuriste du design de la Ferrari. C’est comme si un vaisseau spatial avait atterri dans un parking lambda. Et c’est exactement ce que recherchait Ferrari. « Elle a un côté science-fiction », approuve le chef du design GT Andrea Militello. « La 12Cilindri a presque une allure abstraite, et c’est un objet qui regarde sans aucun doute vers le futur. » Tout le monde n’est pas convaincu, et le grand patron du design Flavio Manzoni en est bien conscient. Cette voiture déconcerte au premier regard mais une fois qu’on l’a comprise, ça fonctionne.

Le museau évoque très clairement la 365 GTB4 Daytona, un dessin signé Pininfarina qui a révolutionné le style Ferrari à la fin des années 1960 (mettez-la à côté de la 275 GTB qu’elle remplaçait, et vous comprendrez). Le masque arrière en « delta » est sans doute l’élément le plus clivant, avec ses flaps mobiles de chaque côté et sa barre de LED en dessous, surplombant d’énormes sorties d’échappement oblongues. C’est une voiture remarquablement géométrique.

Le cofango – l’ensemble capot-ailes avant – bascule vers l’avant pour dévoiler le V12. Ce dernier une véritable sculpture, en plus d’être un chef-d’œuvre d’ingénierie. C’est peut-être la seule voiture du monde à être aussi belle capot ouvert que fermé, même si je déconseille de conduire comme ça. Les hanches sobrement découplées contrebalancent ce nez cyranesque pour conférer à la 12Cilindri beaucoup d’énergie visuelle sur l’arrière.

Café en Belgique, apéro (théoriquement) en Allemagne, déjeuner à Maastricht. Les routes ont séché. Nous entrons en Allemagne où nous tombons bientôt sur une portion d’Autobahn illimitée. Dans un monde gavé de drag races en Tesla sur Youtube, la fidélité de Ferrari au V12 atmosphérique s’apparente à un acte de résistance. L’allègement de certaines pièces et une métallurgie innovante permettent désormais au 6,5 l de grimper à 9 500 tr/min, mais l’essentiel du couple est disponible dès 2 500 tr/min. Ferrari a aussi peaufiné la gestion électronique du couple en s’inspirant de ses moteurs turbo pour « sculpter » la courbe de couple en troisième et en cinquième, au profit des sensations.

Ils n’avaient peut-être pas besoin de se donner cette peine. Le V12 atmo Ferrari demeure une expérience grandiose s’il en est mais son caractère privilégie maintenant le (super-)grand tourisme aux hurlements d’outre-tombe. Ainsi, ce monstre ne rechigne pas à flâner à 70 km/h sur le huitième rapport à 1 600 tr/min. Les ingénieurs ont veillé à préserver son timbre incomparable. C’est juste qu’il est moins bruyant qu’autrefois. Et qu’il respecte au passage les normes anti-émissions les plus sévères. Les ingénieurs Ferrari sont décidément des magiciens.

La 12Cilindri va vite, aussi. 0 à 100 km/h en 2,9 s, 200 km/h en 8,3 s, 340 kmh en pointe. Des camping-cars errants et des voitures de location en goguette nous empêchent de hausser réellement le rythme, mais la 12Cilindri dégage une puissance extraordinaire quand on joue du manettino pour passer en vitesse lumière. Ferrari a voulu calmer le jeu par rapport à la Competizione, arrondir un peu les angles. Mission accomplie. Les kilomètres s’accumulent, avec pour seule séquelle une légère crampe dans le bas du dos. Ces sièges sont magnifiques, mais ils manquent de maintien. La boîte double embrayage à 8 rapports est vive comme l’éclair, très agréable à l’usage, et fait de la 12Cilindri une excellente autoroutière. Ça marche très bien en automatique, mais c’est beaucoup plus amusant de basculer en manuel via un sélecteur de boîte intelligemment conçu. Ce moteur adore prendre des tours mais il lui faut de la place pour s’ébattre. Même quand on force vraiment l’allure, tout – la direction, les freins, l’amortissement – continue de fonctionner en parfaite harmonie. Et le confort est remarquable. Une version XX ou GTO se chargera forcément de dévergonder tout ça d’ici quelques années.

Maastricht, lieu symbolique pour la construction européenne depuis le traité signé là-bas en 1992. Ils n’avaient sans doute pas prévu à l’époque que c’est une directive européenne qui serait à l’origine de l’un des fléaux de l’automobile moderne, les assistances à la conduite. Dieu merci, Ferrari a prévu un bouton qui permet de toutes les couper d’un coup. Une Ferrari flambant neuve, ça se remarque par ici mais Maastricht est loin d’être moche, et on y trouve de beaux immeubles anciens. Il nous reste à faire un passage éclair en France. Nous franchissons la frontière au niveau de Givet, avant de ressortir au bout de 20 minutes pour rentrer au bercail. Franchement, on serait bien descendus à Monaco dans la nuit. Non seulement ç’eût été l’occasion d’introduire la 12Cilindri dans son milieu naturel, mais on se serait tout à fait senti de le faire, sans forcer.

Nous arrivons pile à l’heure. Ce qui est déjà remarquable en soi après un périple de 650 km et 10 heures au volant. Toujours pas d’embouteillages ni de nids de poule, seulement l’impression que Ferrari a peut-être lancé la voiture la plus complète de son histoire. Elle est peut-être pas aussi extravertie que ses ancêtres, mais elle est hautement charismatique, superbement assemblée, au service d’un design et d’une technologie d’avant-garde. La lignée est entre de bonnes mains.

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Ferrari 12Cilindri

Année
2024
Prix mini
395000 €
Type de moteur
Thermique
Longueur
4733 mm
Largeur
2176 (avec rétros) mm
Hauteur
1292 mm
Poids
1560 kg
Boîte de vitesses
double embrayage
Nombre de rapports
8
Transmission
propulsion
Puissance
830 ch
Couple
678 Nm
0 à 100 km/h
2,9 s.
Vitesse max
340 km/h

V12

Type
Thermique
Nombre de cylindres
12
Cylindrée
6496 cm³
Alimentation
atmosphérique
Type carburant
essence
Puissance
830 ch
Couple
678 Nm