Porsche Taycan

C'est un prototype, mais pas des moindres. La première Porsche électrique tient-elle ses promesses ?

Jack RIX • Niels de GEYER
Publié le : 28 août 2019

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Ridiculiser des supersportives en drag race, Tesla le fait très bien et depuis longtemps. Porsche démontre aujourd'hui avec la Taycan qu'une voiture électrique hautes performances peut aussi procurer des plaisirs plus subtils loin des lignes droites. À confirmer très vite lors de l'essai du modèle définitif.

Laissez-moi deviner, encore un tour en passager dans un prototype de la Porsche Taycan ?

Eh non ! Cette fois, nous avons CONDUIT la première Porsche électrique, et sur route ouverte s’il vous plaît. Bon, 30 minutes au volant, sur des routes pas particulièrement intéressantes de la région de Weissach, autour du centre d’essais Porsche. Suivies de quelques tours rapides sur le circuit lui-même… en passager, dans un prototype.

Croyez bien que nous sommes tout aussi frustrés que vous par l’interminable effeuillage de la Taycan, mais d’ici une semaine, nous la découvrirons enfin sous toutes les coutures. D’ici-là, il faudra se contenter de mes impressions avec un mulet de développement. Mais ne faisons pas la fine bouche, il y a déjà beaucoup à apprendre, et d’excellentes nouvelles à retenir.

Dites-nous tout !

Tout, ça va être compliqué pour l’instant. Porsche tient à garder un peu de suspense sur la fiche technique jusqu’au lancement officiel la semaine prochaine. Mais à part les chiffres, on sait tout. Comme d’habitude, il y aura un ensemble de versions plus ou moins performantes. La voiture que nous avons conduite était le top du top de la Taycan, la version plus puissante et la mieux équipée.

La rumeur veut qu’elle soit baptisée Turbo S, ce qui paraît absurde sur une voiture électrique. Si ça se confirme, c’est que quelqu’un au marketing a décidé que « Turbo S » était le seul moyen de faire comprendre aux clients les plus riches fidèles que c’est celle-là qu’il leur faut, et pas une autre.

Cela signifie qu’elle est dotée de freins céramique (disques de 420 mm à l’avant), de quatre roues motrices et directrices, de roues de 21 pouces, d’une suspension pneumatique à trois chambres, d’un amortissement piloté ou encore d’un différentiel arrière électronique. D’autres versions suivront, dont une entrée de gamme propulsion.

Qu’est-ce que ça donne en performances ?

C’est là que c’est encore un peu flou. Plus de 600 ch via deux moteurs électriques (un sur chaque essieu, grosso modo 400 à l’arrière, 200 à l’avant), potentiellement un mode overboost permettant de dépasser ponctuellement les 700 ch. Malgré une masse supérieure à 2,2 tonnes, le 0 à 100 km/h est franchi en moins de 3 s, le 0 à 200 en moins de 10 s et la vitesse de pointe atteint 250 km/h.

On parle aussi d’une boîte à deux rapports qui permet d’obtenir les meilleures accélérations possibles tout en optimisant la consommation à vitesse autoroutière. L’autonomie en cycle WLTP devrait se situer entre 400 et 500 km.

Mais les performances ne se résume pas aux accélérations, notamment dans le cas d’un véhicule électrique. La vraie spécificité de la Taycan, c’est son architecture 800 V, qui rend ces chiffres constants et reproductibles grâce à un meilleur refroidissement. Ce dernier évite aussi une baisse de la puissance de charge (et donc un allongement potentiellement considérable des arrêts au stand). Sur le concept Mission E originel, Porsche promettait une charge de 0 à 80 % en 15 minutes. Nous pourrons très bientôt vérifier ce qu’il en est, et comment ça fonctionne dans la vraie vie avec des infrastructures de charge rapide encore clairsemées.

Vous disiez que vous l’aviez conduite ?

Ah, oui. La sensation première est celle d’une énergie comprimée sous le pied droit, d’un énorme ressort qui ne demande qu’à se détendre quand on effleure l’accélérateur. Ce qui n’empêche pas la voiture d’être particulièrement docile à basse vitesse.

La suspension n’offre pas le moelleux d’une Bentley, mais cette voiture de sport autoproclamée est tout de même capable, aux allures usuelles, de se couler sur la route dans un silence monastique. Le sifflement des moteurs électriques ne se fait entendre que lorsqu’on insiste vraiment sur l’accélérateur. Étrangement, ce n’est pas la réponse instantanée de ce dernier qui impressionne le plus, ni la faculté de la Taycan à prodiguer une poussée qui vous retend les joues au point précis où vous le souhaitez dans un virage. C’est le freinage qui m’a époustouflé.

Par défaut, levez le pied de l’accélérateur et vous êtes en roue libre – la sensation la plus naturelle quand on aime conduire, selon Porsche – car la récupération d’énergie ne commence que quand vous touchez la pédale de frein. Un cadran devant vous indique le point où le freinage régénératif cède la place à la friction des plaquettes sur les disques, et il faut appuyer franchement pour y arriver. Ce qui signifie que 90 % du temps, le ressenti de la pédale de frein est synthétique, conçu pour simuler la résistance à laquelle on est habitué sur une voiture thermique.

Ce n’est pas encore parfait mais, comme toujours chez Porsche, c’est judicieusement calibré et plus transparent que tout ce que j’ai pu essayer de comparable. Par ailleurs, si vous dosez bien, le système de récupération d’énergie peut recharger la batterie avec une puissance atteignant 265 kW. Si vous utilisez votre Taycan essentiellement en ville, il est même envisageable de ne jamais solliciter le freinage hydraulique, raison pour laquelle les disques adoptent un revêtement spécial au tungstène pour éviter de rouiller en cas de non utilisation pendant une durée prolongée.

Et avec toutes ces batteries, on n’a pas trop l’impression de conduire un bus ?

Pas le moins du monde. La masse est palpable, on sent qu’on est au volant de quelque chose de substantiel, qui n’est pas prédisposé au gymkhana. Mais parce que le centre de gravité est plus bas que celui d’une 911, et que la suspension est à peu de chose près celle d’une Panamera (avec un paquet d’électronique en plus), la Taycan vire merveilleusement à plat, s’inscrit avec agilité grâce à ses quatre roues directrices et donne en règle générale l’impression d’être une demi-tonne plus légère.

D’ailleurs, vous en connaissez beaucoup des bus qui bouclent le Nürburgring en 7 minutes 42 ?

Vous avez pu tenter un départ arrêté ? Ou drifter ?

Pas moi, mais mon sympathique chauffeur s’en est chargé pendant nos tours rapides sur la piste de Weissach. 0 à 100 km/h en 3 s, disions-nous ? Ça m’a semblé encore plus violent que ça. Au moment où j’écris ces lignes, mes testicules n’ont pas fini de redescendre et le sang commence à peine à revenir sur la moitié face de mon corps. Cet engin est foutrement rapide. Des g en pagaille, pas un poil de patinage des roues, aucun changement de rapport pour laisser vos organes respirer.

C’est impressionnant, sans aucun doute. Mais est-ce vraiment différent d’une Tesla Model S P100D en ligne droite ? Non. C’est là que réside le défi pour les constructeurs de sportives électriques : pour l’instant, ce genre d’accélération est encore quelque chose de nouveau, mais il va très vite falloir trouver autre chose pour se différencier sur le marché.

Et oui, je peux confirmer qu’elle va vous faire un joli travers si vous l’inscrivez sur les freins, attendez un peu qu’elle pivote puis envoyez toute la sauce. C’est bien pratique quand on veut illustrer un essai, mais on sent que ce n’est pas sa vocation première.

Et donc, quelle est cette vocation ?

Celle d’être la voiture électrique la plus sportive et la plus agréable à conduire du marché. Et elle y parvient. Porsche soutient qu’il s’agit d’une voiture de sport à quatre portes. En réalité c’est une GT : une berline ultraperformante et raffinée, avec de la place pour ses passagers et leurs bagages, qui se trouve être électrique.

Porsche démontre que la voiture électrique peut être autre chose que la somme de compromis à laquelle on s’attend aujourd’hui. Oui, on a perdu un peu en caractère dans l’opération, mais on y découvre de nouvelles et séduisantes perspectives, qui pourraient bien faire la joie de la prochaine génération d’automobilistes.

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