EXCLUSIF : le patron de Jaguar explique comment la Type 00 peut sauver la marque
L'amour des Jaguar ne paie pas les factures. Le virage stratégique de la marque le permettra-t-il ? Top Gear en discute avec Rawdon Glover.
Les gens aiment ce que Jaguar était. On a pu prendre la mesure de cet attachement en découvrant les réactions épidermiques qui ont accueilli le rebranding de la marque sur les réseaux sociaux il y a quelques semaines.
Quand Jaguar a fait des voitures audacieuses – la dernière XJ, l’I-Pace, la XK8 de deuxième génération –, il a eu du mal à les vendre. Quand il est rentré dans le rang comme avec l’E-Pace ou la XE, il a eu encore plus de mal. Le parking du siège de Jaguar Land Rover est rempli de Discovery et de Range Rover, pas de Jaguar : même en interne, ils n’en veulent pas comme voitures de fonction. Et j’ai peur que ce nouveau changement de cap vers des voitures chères et extravagantes n’y change pas grand-chose.
Tout le monde souhaitait le succès de Jaguar, mais trop peu ont fait ce qu’il aurait fallu pour qu’il advienne : en acheter une. Ce paradoxe peut-il enfin être résolu ?
Je suis ici pour demander à Rawdon Glover, directeur général de Jaguar, de me donner des gages d’optimisme. « Nous avons étudié la question en profondeur, dit-il à TopGear.com. Nous avons parlé à un millier de prospects à travers le Royaume-Uni, l’Europe et la Chine. Nous leur avons parlé en détail de notre marque. Et nous leur avons montré la gamme de modèles. L’un des outils que nous utilisons est l’analyse conjointe, qui est idéale pour déterminer ce que les gens sont prêts à payer pour un produit. »
« Nous leur montrons l’extérieur, puis l’intérieur, nous parlons de la configuration. Cela nous a donné confiance dans cette proposition de produit : il faut que cela marque une rupture par rapport à ce que nous faisons aujourd’hui, et il faut que l’on ressente que cela vaut 150 000 €. Nous mettons ça en contexte face aux voitures de la concurrence. Cela parle immédiatement à certaines personnes qui trouvent ça fantastique et qui veulent en commander une. D’autres, ce n’est pas pour eux. »
Mais parce que ces prix positionnés bien plus haut signifient plus de marge par voiture, il n’envisage pas de vendre de gros volumes. Cette considération, dit-il, a conforté l’équipe dans sa démarche. Et Glover souligne que cela ira bien au-delà des voitures.
« Les clients nous ont dit qu’il fallait changer la marque et toute l’expérience utilisateur. Nous en avons donc étudié chaque composante car tout se résume à ce concept de ‘propension à payer’. »
Les concessions seront différentes, présenteront avantageusement les voitures, qui ne seront pas juste plantées là sur un tapis. On y offrira des collations sophistiquées, on y parlera collabs avec des artistes, ce genre de chose. Pour les propriétaires, Jaguar prévoit de mettre en scène la genèse des voitures, et même un dialogue avec leurs créateurs. « Les acheteurs veulent être traités comme des initiés. Ils auront des podcasts de Gerry [McGovern, directeur du Design] et de nos ingénieurs, l’accès à des informations qu’ils n’auraient jamais autrement. Ils rejoignent une communauté. »
Jaguar compte également adoucir la corvée de l’entretien. La voiture alertera automatiquement Jaguar de ses besoins, la marque planifiera le rendez-vous en concession et la mise à disposition d’un véhicule de courtoisie (du même standing que le vôtre, pas un Disco Sport tout rincé) là où vous en avez besoin.
Voilà donc le futur. Glover estime que si la stratégie de Jaguar au XXIe siècle n’a jamais pu fonctionner à ce jour, c’est parce que la marque est trop petite pour jouer avec les poids lourds du premium, quel qu’ait été le talent de certaines de ses voitures. La concurrence pouvait toujours surenchérir en développement et en technologie pour préserver son leadership. « Tout est question de synergies dans les achats et la production, et d’économies d’échelle. »
La créativité n’a pas suffi à Jaguar. À vrai dire, tout n’a pas été rose non plus pour BMW, Mercedes et Audi en Chine, l’un de leurs marchés les plus profitables, car les acheteurs chinois s’orientent maintenant des voitures high-tech produites par des marques locales. Une autre raison de monter en gamme, selon Glover.
À ses yeux, les péripéties de ces deux dernières décennies n’ont donc rien à voir avec un problème d’image. Mais si vraiment la marque Jaguar se porte si bien, alors pourquoi ne pas en inventer une nouvelle, comme Lucid, Nio ou Yangwang ? Glover se recale dans son fauteuil et fait une pause. Il est clair qu’il y a pensé. Mais il explique que les actionnaires de Tata tiennent beaucoup à Jaguar. Et que dans beaucoup de mesures classiques du capital marque (notoriété spontanée, identification, aspiration), elle réalise toujours des scores élevés. « Je retournerais la question : si vous étiez une de ces marques chinoises, que ne donneriez-vous pas pour ça ? »
Il se moque aussi de l’idée de faire passer ses voitures sous pavillon Range Rover, en miroir de Porsche qui avait tout chamboulé en greffant le Cayenne à ses voitures de sport. JLR s’affaire déjà à cloisonner Range Rover, Discovery et Defender, aussi bien en tant que marques que dans leurs gammes respectives. Jaguar doit elle aussi rester une entité à part, insiste Glover. Il explique que la nouvelle plate-forme Jaguar n’est pas seulement plus basse, elle offrira des proportions différentes et des sensations de conduite bien distinctes.
« Beaucoup de voitures électriques se ressemblent. L’aéro les fait ressembler à une savonnette »
Et si l’image de Jaguar a pâti des X-Type Diesel et autres berlines plus ou moins inspirées, cela n’aura peut-être plus tant d’importance en 2026 quand la première Jaguar de la nouvelle ère sera commercialisée. On oublie les voitures oubliables. On se rappelle les voitures mémorables, surtout quand les murs de la concession sont ornés de photos de George Best avec sa Type E ou de Steve McQueen au volant de sa XK-SS. Les grands créateurs, dit-il, peuvent se permettre de revisiter leur héritage d’une façon complètement moderne.
Dernière chose : y a-t-il vraiment un marché pour des voitures électriques à 150 000 € ? Jaguar se positionnera, en prix, entre le sommet du premium (EQE/EQS, Lucid, certains constructeurs chinois) et le vrai luxe de Rolls et Bentley. « Nous pensons qu’il y a un créneau à prendre, pas seulement en matière de tarifs, mais pour une marque plus disruptive. Les gens achètent des voitures pour leur design et leur intérieur. Le moteur doit être au 13e rang sur la liste. »
Ah, la question de l’électrique. « Beaucoup de voitures électriques se ressemblent : cabine avancée, petites roues qui profitent à l’autonomie, garde au sol haute à cause de la batterie. L’aéro les fait ressembler à une savonnette. Cela débouche sur des véhicules qui n’ont pas de résonance émotionnelle. Nous avons conçu l’antidote. Elle est complètement différente. Elle aura une présence incroyable sur la route. »
N’y a-t-il tout de même pas d’autres raisons pour lesquelles les électriques de luxe patinent ? « C’est une courbe en S, non ? C’est parti sur les chapeaux de roues, ça s’est stabilisé, ça va repartir. La voiture sera lancée en 2026 et aura un cycle de vie de huit, neuf ans. Je regarde où va le marché. Mais ce n’est pas parce qu’elle est électrique que les gens l’achèteront. C’est parce qu’ils pensent qu’elle est belle et parce que la marque leur parle. »
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