Gorden Wagener, directeur du style Mercedes, est d’humeur taquine. Et en contemplant sa Vision One-Eleven, une voiture si basse qu’on la toise même assis, il n’a aucun doute sur sa démarche.
« Le rétro, c’est refaire tel quel, copier-coller. L’héritage, c’est réinterpréter l’ADN, résume-t-il. C’est un bel atout que nous avons, surtout maintenant qu’on se dirige vers l’électrification. Les voitures électriques mainstream se ressemblent toutes. Certaines viennent de marques dont on n’a pas entendu parler mais elles ont toutes la même allure. Et cet ‘electro-look’ fait souvent cheap. »
Dans un monde où des entreprises qui existaient à peine il y a cinq ans valent apparemment des milliards, Mercedes a d’autant plus intérêt à piocher dans son héritage. Par exemple avec la Vision One-Eleven, un concept car directement inspiré par la Mercedes C111 de 1969. Cette étude était la première d’une série de quatre laboratoires roulants qui, en une décennie, ont défriché de nouvelles solutions en matière de propulsion et d’aérodynamique, non sans signer une ribambelle de records au passage.
La filiation ne serait pas explicite s’il n’y avait que la silhouette (qui nous évoquerait davantage une Isdera Imperator). Elle devient évidente avec cette livrée orange et noir, et le traitement des optiques. Pas de Wankel trirotor central arrière ici mais un moteur électrique sur chaque roue, alimentés par une batterie à la taille inconnue.
Le résultat est un monolithe cuivré d’où émergent seulement les formes des passages de roue. « Il faut créer des icônes. Les icônes, c’est ce qui fait la différence entre le mainstream et le luxe, poursuit Wagener. Les artistes et les designers veulent toujours laisser une tracer dans l’histoire, non ? Seule l’épreuve du temps permet de dire que le travail d’un designer est devenu iconique, mais les icônes définissent le luxe. Nous aimons les voitures de sport, nous aimons les portes papillon, nous aimons les voitures basses, et nous aimons les voitures orange. L’idée n’est pas de dessiner une énième voiture, celle-ci est vraiment spéciale. Elle a une aura, ce n’est pas un simple exercice de style. »
Wagener appelle ce langage « sensual purity ». La Vision One-Eleven est effectivement du genre minimaliste. Les portes papillon sont énormes mais se fondent parfaitement dans ce fuselage, de même que les surfaces vitrées à moitié opaques, qui s’achèvent sur un dégradé pixelisé. Ce minimalisme est contrebalancé par un soubassement bardé d’appendices aérodynamiques. Pas de phares escamotables (oooh). L’écran ovoïde qui fait office de calandre intègre les optiques – un amas de pixels de chaque côté, référence aux antibrouillards ronds de la C111 – et peut afficher des messages-icônes destinés aux autres usagers.
L’ambiance SF rétro se retrouve à bord. On songe à Barbarella et 2001, L’Odyssée de l’espace. Wagener, lui, cite le Cinquième Element de Luc Besson. Si la planche de bord revêt un tissu blanc en polyester 100 % recyclé, c’est du cuir orange (tanné à l’écorce de café et tout ce qu’il y a de plus durable, évidemment) qui garnit le volant, les accoudoirs, la console centrale et et plage arrière qui tient lieu de coffre. On retrouve cette couleur sur les harnais quatre points des baquets, dont l’assise est solidaire du châssis.
Derrière le volant oblongue en alu, flanqué d’un petit écran pour le système infodivertissement, la planche de bord est intégralement pixelisée à la manière de la calandre, pour afficher une instrumentation épurée. Le conducteur pourra aussi coiffer un casque de réalité augmentée pour que la voiture tout entière devienne une interface. Mieux, les montants de pare-brise apparaîtront alors virtuellement transparents, tandis que vous pourrez par exemple voir des travaux à travers un virage en aveugle grâce à l’interaction avec la cartographie.
En bon concept d’hypercar de 2023, la Vision One-Eleven arrive avec son lot d’œuvres NFT (un jour, on comprendra peut-être). Mercedes y associe aussi une ligne de bagagerie et de vêtements.
« La modernité relève de l’intégration des formes. Nous aimons aussi la simplicité, qui est plus difficile à obtenir que la complexité, explique Wagener. Les surfaces sur la Vision One-Eleven suscitent instantanément une réaction émotionnelle. Mais nous sommes aussi dans une industrie de haute technologie et il faut être à la hauteur là aussi. Quoi que nous fassions, ce sera beau, ce ne sera jamais bizarre. Nous ne ferons jamais des voitures à l’allure étrange. Vous voyez de quoi je veux parler, je suppose. » Mais à qui peut-il bien faire référence ?