Rolls-Royce Spectre : rencontre avec la première Rolls électrique
L'ère des Rolls-Royce électriques commence avec une "voiture émotionnelle" aussi décisive que la Silver Ghost originelle.
En y réfléchissant, peu de voitures se prêtent autant à l’électrification qu’une Rolls-Royce. Charles Rolls le disait lui-même en 1900 : »La voiture électrique est parfaitement silencieuse et propre. Elle n’émet ni odeur ni vibration. » Avant d’ajouter, visionnaire, qu’il avait davantage de doutes sur les infrastructures… Et si l’on est taquin, il est vrai qu’aucune Rolls n’avait encore offert un moteur aussi doux, discret et réactif que celui d’une Nissan Leaf de 2011. Ou que celui d’une Tesla Model S, pour équilibrer la comparaison : une voiture puissante, lourde, capable de faire de longues distances et de charger relativement vite. Mais tout ça est sur le point de changer : dans un an, cette impressionnante Rolls-Royce Spectre arrivera dans le box de ses premiers clients. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? « Les clients l’ont toujours dit : il fallait que ce soit une Rolls avant d’être une électrique », répond Torsten Müller-Ötvös, directeur général de la marque.
Rolls-Royce connaît intimement ses clients. Il faut dire que c’est un cercle très restreint, même s’il ne cesse de s’étendre. Müller-Ötvös prend la température depuis une décennie sur l’électrification. « Si l’on compare leur position à l’époque et maintenant, elle a considérablement évolué. En moyenne, ils possèdent sept voitures et beaucoup ont déjà une électrique dans leur garage. Les retours sur la propulsion électrique en général sont très positifs. » Ce n’est donc pas la Spectre qui aura la lourde tâche de les faire passer de la pompe à la borne.
Rolls-Royce avait même développé un prototype en 2011, le 102EX. Je l’avais conduit. C’était une authentique Rolls : silencieuse, fluide, ouatée. En revanche, son autonomie était ridicule et ses temps de charge interminables. « Il y a dix ans, ce ne sont pas les clients qui n’étaient pas prêts. C’était la technologie qui n’était pas encore au niveau : la batterie, les moteurs et, peut-être encore plus crucial, le software. Désormais, elle l’est, suffisamment en tout cas pour nous permettre de faire une Rolls-Royce. Il n’y a pas de compromis. Elle autorise une plus grosse voiture, plus d’espace, une autonomie suffisante, et une recharge adéquate. Et l’électronique moderne se charge de la rendre facile à utiliser et interactive. Par ailleurs, je n’étais pas en faveur d’un compromis qui aurait consisté à convertir une voiture thermique. »
Pour notre plus grande joie, la première Rolls électrique se trouve être un coupé, et pas un de ces monstrueux SUV. « La Spectre est aussi important pour nous que la Silver Ghost ». Ladite Silver Ghost, un bolide d’une cinquantaine de chevaux (si, si, c’était un bolide à l’époque) étant née en 1906, on peut supposer qu’il ne fait pas cette comparaison à la légère. « C’est le début d’une nouvelle ère pour Rolls et il faut célébrer cela. Un coupé fastback est une voiture émotionnelle. » Sa mission sera en effet de prendre la suite de la spectaculaire Phantom Coupé, portée disparue depuis 2016.
Le gabarit est typiquement Rolls : colossal. Avec 5,45 m de long pour 2,08 m de large et 1,56 m de haut, posée sur ses jantes 23 pouces, la Spectre ferait passer un Range Rover pour une Golf. Elle annonce 520 km d’autonomie WLTP, notamment grâce à un Cx de 0,25 qui en fait la Rolls la plus aérodynamique de l’histoire. Il reste quand même à translater 2 975 kg, dont pas moins de 700 pour la batterie (qui avoisine les 120 kWh si l’on se fie à la consommation annoncée d 21,5 kWh/100 km)… Malgré tout, les 585 ch et 900 Nm cumulés des deux moteurs électriques (un par essieu) catapultent la bête à 100 km/h en 4,5 s.
Tout ça, ce ne sont que des chiffres. La Spectre offre d’abord toute la décadence qu’on est en droit d’attendre d’une Rolls. Sa face avant de temple grec, par exemple. Perchée sur la plus large calandre de l’histoire de la marque (même sans V12 à refroidir derrière), une « Flying Lady » redessinée se penche davantage vers l’avant. De part et d’autre, on trouve des optiques en deux parties, qu’on n’avait plus vu chez Rolls depuis la Phantom Coupé. Une barre de feux de jour au-dessus, les projecteurs à proprement parler en dessous, un faciès qui rappelle celui de la cousine BMW Série 7.
Les volumes et les surfaces sont épurés au maximum pour faire de la Spectre un immense bloc de métal poli. Les rares lignes qui subsistent sont acérées, et les pièces chromées de l’accastillage sont tout aussi imposantes en elle même, comme ces poignées qui ne dépareraient pas sur la porte de la chambre forte d’une banque suisse.
Les portières sont à ouverture antagoniste comme il se doit. On entre et on sort sans aucune entrave. L’intérieur est tout aussi Rolls que l’extérieur, donc incomparable. Toutes les Rolls de l’ère Goodwood (qui a débuté en 2003 après la reprise de la marque par BMW, ou plutôt sa recréation) partagent cette simplicité et cette assurance, un mobilier qui ne doit plus grand-chose à l’univers automobile. On reconnaît tout de même les commandes de clim tactiles et le contrôleur iDrive. Pour la première fois, l’instrumentation est numérique, mais l’écran continue heureusement d’afficher deux compteurs ronds à l’ancienne (coucou BMW). Ils sont évidemment personnalisables pour s’accorder au mieux avec la finition choisie par le client.
Notez que le ciel étoilé à la fibre optique (« Starlight ») peut désormais se prolonger sur les portières, ainsi que la planche de bord côté passager. Ou vous pouvez opter pour un bon gros placage de bois précieux, tout simplement.
La Spectre une vraie quatre places. « Pas une 2+2 », insiste Müller-Ötvös. Le luxe, c’est aussi de l’espace (Renault l’a toujours dit), et vous avez peut-être envie de voyager accompagné. Même si, en tant que Coupé, la Spectre n’a pas vocation à être confiée à un chauffeur. Alors quel usage les clients Rolls-Royce réserveront-ils à un coupé électrique ? Ils ne le conduiront pas au quotidien, estime Müller-Ötvös. Plutôt occasionnellement, pour un voyage ponctuel, une sortie le soir, ou juste « faire un tour ».
Une fois, j’ai fait Calais-Monaco en Phantom Coupé. Je n’imagine pas une voiture plus à l’aise dans cet exercice. Après, Rolls ou pas, c’était en partant douloureusement tôt et en multipliant les pauses snack sur les aires d’autoroute. Un vrai propriétaire de Rolls ne voyagerait pas comme ça. Il s’arrêterait une nuit dans un Relais & Châteaux, où il trouverait une borne de charge rapide. Il aurait un chargeur chez lui et un autre sur ses lieux de travail. Ce qui signifie que les quelque 500 km d’autonomie de la Spectre seront rarement une contrainte pour lui dans la vraie vie. En d’autres termes et pour en reprendre un cher à Rolls-Royce, ce sera « suffisant ». « Les propriétaires ne font pas Paris -Nice d’une traite. L’autonomie n’a jamais été primordiale sur nos voitures ». Une Rolls-Royce V12 offre un rayon d’action inférieur, « et personne ne nous a jamais demandé un plus gros réservoir. » Certes, mais c’était en pouvant faire le plein en cinq minutes n’importe où…
« L’intérieur est tout aussi Rolls que l’extérieur, donc incomparable »
Côté châssis, la Spectre peut compter sur des ressorts pneumatiques, des résonateurs pour contenir les vibrations des roues, un amortissement piloté, un antiroulis actif et quatre roues directrices. Mais ce n’est pas tant le hardware qui fait la fierté de Rolls-Royce que le software développé pour le faire fonctionner en harmonie. On vous dira ça quand on aura pu y goûter.
Le prix ? Quelque part entre le Cullinan et la Phantom, donc entre 400 et 500 000 €. N’oubliez pas de prévoir 50 % de rab pour les options et la personnalisation.
J’interroge Müller-Ötvös sur la rentabilité de cette nouvelle plate-forme. Il me répond qu’ils peuvent maintenant concevoir et produire une électrique pour le même prix qu’une voiture V12. Une autre raison pour laquelle ils ne l’ont pas fait plus tôt : vendre des voitures électriques qui font moins de marge que les V12 qu’elles remplacent, ce n’est pas bon pour les affaires. Je soupçonne donc que le timing de l’arrivée de la Spectre n’ait en fait pas grand-chose à voir avec l’état de la technologie. Je fais confiance aux ingénieurs BMW et Rolls-Royce : ils auraient sûrement pu le faire avant, c’est juste que ce n’était pas nécessaire. Comme le patron le rappelle, électrique ou pas, les ventes de Rolls thermiques (pléonasme, mais plus pour longtemps) ne faisaient déjà qu’augmenter exponentiellement, a fortiori depuis l’arrivée du SUV Cullinan.
Le moment est maintenant venu. Il y a désormais une demande, et donc des profits en perspective. Et la technologie permet aujourd’hui de passer à l’acte en respectant les standards Rolls-Royce. Peut-être même en les dépassant, si je me fie à ce que je vois.
Photos : Mark Fagelson
Top Gear
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