La crise sanitaire, un tremplin pour la voiture électrique ?
Top Gear discute de l'avenir de l'automobile avec Klaus Bischof, patron du design pour tout l'empire Volkswagen
Klaus Bischoff et Volkswagen, c’est une longue histoire. Il y est entré en 1989 pour commencer sa carrière au design intérieur. Il a dirigé la division concepts à partir de 1996, a pris les rênes du design intérieur des voitures particulières, puis du design extérieur, puis du design tout court, avant de devenir le directeur du style pour la marque dans son ensemble. Au lendemain du Dieselgate, lui et son équipe ont répondu à la crise existentielle de Volkswagen en créant la gamme électrique ID, un gigantesque mea culpa actuellement mis en parenthèses – comme à peu près tout – par le Covid-19.
Le 1er avril, Bischoff a été promu directeur du design de tout le groupe Volkswagen : Audi, Bentley, Bugatti, Lamborghini, Porsche et tout le reste. Je lui demande si ça ne l’empêche pas trop de dormir. À l’autre bout du fil, un petit rire nasal, puis une réponse ferme : « Non. »
Il faut dire qu’il peut compter sur une véritable dream team : Stefan Sielaff chez Bentley, Mitja Borkert chez Lamborghini ou Michael Mauer (que Bischoff remplace à la tête du groupe) chez Porsche, pour n’en citer que trois, sans oublier le retour du fils prodigue Jozef Kabañ en tant que directeur du style de la marque Volkswagen, après un passage avorté chez BMW et Rolls-Royce. Bischoff a traversé beaucoup de tempêtes, mais tandis que Volkswagen était en train de se positionner à l’avant-garde de l’électrification, c’est aujourd’hui toute l’industrie qui doit faire face à un ennemi invisible que beaucoup d’experts avaient prévu, mais auquel personne ne s’était vraiment préparé. Notre conversation commence forcément par ce sujet pénible, sous un angle cependant inhabituel.
Klaus Bischoff : Il va y avoir une période difficile, avec de nombreux défis supplémentaires à relever. Et on n’avait déjà pas vraiment le temps de s’ennuyer auparavant… Il faut que nous agissions contre le changement climatique, que nous modifions notre façon de voyager. Je pense que cette nouvelle crise va effectivement transformer en profondeur nos modes de vie et de transport si nous ne trouvons pas une solution rapidement. Mais la Chine est en train de redémarrer et nous y observons déjà une forte demande pour nos voitures. Nous avons 33 usines là-bas, qui reprennent la production les unes après les autres. Stephan Wöllenstein [le membre du conseil d’administration chargé de la Chine] nous a rapporté une hausse significative du nombre de visiteurs dans les concessions (en respectant les consignes de distanciation sociale, évidemment). Il y a une demande de mobilité, et un sentiment que les transports publics ne sont pas très sûrs.
« Je reste persuadé que lorsque les gens font des choix automobiles responsables, ils ont envie de le montrer »
Top Gear : La qualité de l’air en Europe s’est sensiblement améliorée avec la baisse du trafic. Est-ce que les conséquences inattendues de la pandémie pourrait inclure la normalisation du télétravail et une meilleure acceptation de la voiture électrique ?
KB : Je vis près d’une quatre-voies, et le trafic est en baisse de 25 ou 30 %. Le soir, encore plus. Je pense que tout ceci est une opportunité… d’accélérer les choses. Notre façon de communiquer, de travailler. Nous aimons bouger, mais nous découvrons aujourd’hui que l’on peut faire beaucoup chez soi grâce au numérique, et je pense que cela va inciter les gens à réfléchir sur leur style de vie. Ai-je vraiment besoin de prendre un avion pour parler à quelqu’un ? Mais l’Homme a toujours ressenti l’envie d’explorer. On veut savoir ce qu’il y a de l’autre côté de l’horizon, derrière cette montagne, et l’envie de rouler jusque-là est inscrite dans nos gènes. La fin de l’automobile a été annoncée très souvent, mais je pense qu’il restera toujours un noyau dur. La mobilité individuelle, c’est la liberté, et l’humanité s’est battue pour la liberté. On ne devrait pas l’oublier.
TG : Vous avez fait partie du petit commando qui a aidé Volkswagen à se dépêtrer du scandale des émissions. Comment avez-vous fait ?
KB : Chaque entreprise est différente, avec une culture différente. Tant mieux : nous ne courons pas tous après la même chose. Les objectifs ne sont pas les mêmes partout. Le nôtre est de créer une façon responsable de voyager, qui soit accessible à tous. Cela signifie mener une transition vers l’électrification, vers les énergies renouvelables. Nous avons montré au monde la direction que nous prenons, et à présent nous déployons cette stratégie pièce par pièce. L’objectif était clair, et j’ai été chargé de proposer quelque chose qui soit perçu différemment. Je reste persuadé que lorsque les gens font des choix automobiles responsables, ils ont envie de le montrer. Il faut des early adopters et des « évangélistes » pour lancer le mouvement. Nous devions offrir quelque chose qui embrasse pleinement cette nouvelle façon de rouler. C’est un usage différent, une expérience différente, alors pourquoi est-ce que cela devrait ressembler à une voiture thermique ? Nous avons dû sortir de notre zone de confort pour envisager quelque chose de complètement inédit.
TG : Le style Vokswagen est hautement apprécié, mais plutôt conservateur. Vous avez dit par le passé que l’électrification allait « rebattre les cartes » et constituer une occasion de se différencier. Dans cette optique, les Volkswagen ID sont-elles suffisamment radicales ?
KB : Volkswagen est tout sauf une marque de niche. Nous devons dessiner des voitures pour le monde entier, pour des millions de personnes. Nous devons faire preuve de courage, et je pense que nous l’avons fait. Mais nous devons aussi proposer quelque chose qui ne s’adresse pas qu’aux designers et aux architectes. Quand l’intelligentsia dit « OK, je la veux et je l’achèterai à n’importe quel prix » on se retrouve avec une cinquantaine d’hypercars sur la route, mais pas cinq millions de vraies voitures. Attendez de voir l’ID.3 dans le trafic, elle sort vraiment du lot.
TG : À quel point a-t-il été compliqué de superviser ce processus à l’échelle d’un groupe comme Volkswagen ?
KB : Je peux vous dire que dessiner une voiture n’est pas une tâche facile. Il faut non seulement prendre en compte énormément de contraintes, mais aussi porter une approche stylistique lors d’innombrables réunions du board. Ça fait 31 ans que je fais ça, et j’ai eu l’occasion de travailler avec beaucoup de membres du conseil. Ce sont eux qui prennent les décisions à la fin. En tant que designer, on répond à un cahier des charges, et il ne faut pas sous-estimer toutes les compétences managériales nécessaires pour créer de la valeur, de la substance. Il faut négocier pied à pied en permanence.
TG : En parlant de membres du conseil d’administration, vous avez travaillé avec celui qui fut sans doute le plus redouté de tous, Ferdinand Piëch. Comment était-ce ?
KB : Une expérience hors du commun. J’ai fait la Phaeton avec lui. On travaillait sur l’intérieur. À une réunion de design, il a dit [voix haut perchée] : « Ça ne suffit pas. » J’ai pensé : « La prochaine fois, je l’aurai« . Et j’ai construit ce qui reste à ce jour la maquette d’intérieur la plus chère de l’histoire de l’entreprise. Ou plutôt une représentation entièrement fonctionnelle de l’ensemble de la voiture, intérieur et extérieur. Fantastique. Là, il a dit [voix haut perchée, lentement] : « Aaah, maintenant c’est bien. » Et croyez-moi, c’est le plus beau compliment que je pouvais espérer.
TG : Et maintenant, vous êtes à la barre de tout le département. Comment trouvez-vous le temps ?
KB : J’ai deux métiers. Je consacre 15 ou 20 % de mon temps au Groupe, et le reste à Volkswagen. En juillet, Jozef Kabañ prendra le relais et je pourrai me concentrer entièrement sur le Groupe. Je suis en train de réunir une équipe et de préparer toutes les stratégies que nous devrons mettre en place. Il y beaucoup à faire. Aider les marques à faire la transition, préserver leurs différences mais les rapprocher quand il le faut, répondre à la forte demande de numérique tout en créant une expérience client à la hauteur.
TG : Vous aviez souligné qu’on ne va pas très loin en ne réfléchissant qu’en termes de style. Pouvez-vous développer ?
KB : Il faut saisir l’essence de chaque marque, comprendre d’où elle vient, où elle peut aller. Il ne s’agit donc pas seulement de modifier une ligne par-ci, par-là. Quelle est la vocation d’une marque, sa raison d’être ? Quel est son héritage ? Et comment l’intégrer dans futur connecté et environnementalement responsable ?
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